dimanche 18 octobre 2015

Hébergement d’urgence, l’Etat remplit les hôtels

http://www.liberation.fr/politiques/2015/10/12/hebergement-d-urgence-l-etat-remplit-les-hotels_1402639

Le 22 juillet 2015 dans un hôtel Formule 1, proche de Paris, accueillant des familles ayant fait appel au 115. Julien Mignot  

Alors que la ville de Paris s’engage pour l’accueil des réfugiés, les associations dénoncent le coût et l’inefficacité du recours à l’hôtellerie dans le processus de réinsertion.

  Hébergement d’urgence, l’Etat remplit les hôtels
Un hôtel Formule 1, en bordure du périphérique parisien : le prix de la chambre s’affiche sur un écran lumineux et change chaque jour, en fonction du taux de remplissage. Ce soir-là, au milieu de l’été, il faut compter 49 euros la nuit pour la chambre de deux ou trois personnes. Un couple de retraités grimpe au cinquième d’un coup d’ascenseur. Ils sont de passage pour visiter la capitale. Devant la porte, un jeune homme fume sa cigarette, la tête dans ses pensées. Il rentre du boulot, un chantier de désamiantage dans le VIIIe arrondissement ; son patron lui a réservé une chambre pour plusieurs nuits. Deux hommes discutent à quelques mètres de lui. Eux dorment dans cet hôtel depuis des mois. Ils vivent ici avec femme et enfants. L’un depuis un an, l’autre depuis cinq semaines. «Allez voir au rez-de-chaussée et au premier étage, vous verrez, des comme nous, il y en a plein.» Des familles sans abri, logées dans cet hôtel par le Samu social de Paris qui répond pour le compte de l’Etat au 115, le numéro d’hébergement d’urgence.

Environ 35 000 personnes sont ainsi hébergées chaque nuit dans 538 hôtels de la capitale et de sa banlieue ; ce qui représente 15 % de l’offre hôtelière de la région Ile-de-France, parmi les plus touristiques du monde. «Nous sommes arrivés à saturer le marché des hôtels économiques… Le parc est aujourd’hui insuffisant pour répondre aux besoins», affirme Christine Laconde, la directrice générale du Samu social de Paris.

«Mise en concurrence»
Le système d’hébergement d’urgence se craquelle de partout, et surtout en Ile-de-France. La ministre du Logement, Sylvia Pinel, a bien lancé un plan pour trouver des solutions alternatives à ces hébergements en hôtel, en janvier, basé entre autres sur l’incitation faite aux bailleurs privés de mettre leur logement en location. Mais «cela ne suffira pas, les objectifs fixés ne seront pas atteints, il y a de trop gros blocages sur le marché du logement», assure la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars). Et Philippe Martel, le président de l’association Interlogement 93 qui gère le 115 en Seine-Saint-Denis, est amer : «Avec ce plan, l’Etat a fixé un plafond de nuitées hôtelières à ne plus dépasser… Sauf que, comme les alternatives ne suivent pas, on laisse de plus en plus de personnes à la rue.» Pour la seule nuit du 1er octobre, 248 ont dormi dehors en Seine-Saint-Denis. Ces dernières semaines, la crise des migrants a obligé les politiques à ouvrir les yeux. «Au moins, cela aura permis de donner de la visibilité au besoin d’hébergement d’urgence dans notre pays. Maintenant, on espère un effet de levier pour que cela profite à tous les sans-abri», explique Florent Guéguen, le directeur général de la Fnars. Il s’inquiète d’une «mise en concurrence» des publics : «Quand on voit que 20 000 nouvelles places ont été trouvées en quinze jours face à la crise des réfugiés… cela interroge. Tous les lits doivent être mis dans le pot commun.» Lundi, Anne Hidalgo, la maire de Paris, a annoncé de nouvelles mesures pour l’hébergement des migrants (lire l’encadré ci-contre).

Dans la région parisienne, on compte 40 000 places dans les structures d’urgence (les centres d’hébergement et les centres d’insertion sociale) gérées par des associations, mais très peu sont adaptées à l’accueil des familles. Or depuis la fin des années 90, il y a une explosion du nombre de parents à la rue avec leurs enfants. Des couples ou des mères seules avec des enfants, sans ressources ni logement. En grande partie des étrangers, souvent sans papiers, et donc sans autorisation de travail. Pour éviter de laisser des enfants dormir à la rue, le Samu social a recours à l’hôtel, avec l’aval de l’Etat qui finance. «Cela a commencé il y a une dizaine d’années, mais la croissance a vite été exponentielle», soupire Christine Laconde.

Le recours à l’hôtel représente un coût de 180 millions d’euros par an sur les 212 millions du budget du Samu social de Paris. Depuis 2007, il existe même un «pôle de réservation hôtelière» dans les locaux du Samu, à Ivry-sur-Seine. Dix salariés, en permanence, ratissent les hôtels, négocient tarifs et conditions d’accueil.

«Hôtels sociaux»
La directrice générale parle de «drogue dure» : «Réserver des chambres, c’est bien plus facile que de construire des centres. C’est une offre immédiatement disponible, avec une élasticité qui permet de s’adapter à la demande. Mais cela repose sur deux leurres. Le premier, c’est de croire que l’hébergement hôtelier est provisoire et réversible.» L’histoire prouve le contraire. On est passé de 2 500 nuitées en moyenne en 2005 à 14 fois plus aujourd’hui. Parce que la demande d’aide a explosé au fil des années, mais aussi parce que sortir de l’hôtel n’est pas simple.

La chaîne qui mène de l’hébergement au logement est embourbée. D’autant plus compliqué que les familles placées à l’hôtel se retrouvent isolées, sans accompagnement social, et galèrent dans les démarches. «C’est le deuxième leurre, explique Christine Laconde. Croire que l’hôtel coûte moins cher que de construire des centres.» La nuit à l’hôtel est négociée 17,50 euros en moyenne par personne (adulte ou enfant), là où une place en centre d’hébergement varie entre 24 et 41 euros la nuit. Mais les prestations ne sont pas comparables. Les centres incluent l’accompagnement social, la nourriture, là où l’hôtel se résume à un lit. Dans le meilleur des cas, le gestionnaire met à disposition un micro-ondes dans un bout de couloir. Tout dépend du type de structures.

Il y a ce qu’on appelle «les hôtels sociaux», qui ne tournent qu’avec des familles du 115. Souvent, il s’agit de petits établissements d’une ou deux étoiles dans le nord de Paris - 500 familles y vivent depuis plus de cinq ans. Ces hôteliers-là concèdent parfois quelques aménagements, pour cuisiner par exemple. Ce qui n’empêche pas des conditions d’hébergement difficiles, les lieux étant souvent peu (ou pas) entretenus.

A l’inverse, d’autres établissements refusent catégoriquement tout aménagement : souvent des chaînes, acceptant seulement les sans-abri en période creuse pour s’assurer un taux de remplissage… Le Samu social loue des chambres dans 78 hôtels de chaînes. Formule 1, Campanile, Première Classe, Balladins, etc. Inspirés des motels américains, ils sont souvent situés dans les zones commerciales, subissent la concurrence de plateformes internet comme Airbnb.

L’hébergement d’urgence est une part importante de leurs recettes, même si ce n’est pas toujours assumé. «Oui, on travaille avec le 115 depuis plusieurs années : une vingtaine d’hôtels en Ile-de-France, mais cela varie beaucoup en fonction de nos disponibilités», répond le groupe Accor, qui ne veut pas parler du chiffre d’affaires. Les chaînes refusent souvent que les chambres soient occupées plus de quelques jours consécutifs, pour éviter que les familles ne s’installent.

Étages réservés
Dans l’hôtel Formule 1 où nous nous sommes rendus, le gestionnaire a découpé son établissement en deux. «Les familles du 115» habitent le rez-de-chaussée et le premier étage. Les deux autres sont réservées à la clientèle classique. Drôle d’ambiance. Des portes qui claquent, à l’aube, quand les travailleurs décollent des étages supérieurs. Tandis que le rez-de-chaussée s’anime le soir venu.

Assises dans le couloir, Cynthia, 17 ans et Nadia, 15 ans, papotent. «Revenez vers 20 heures-21 heures. Là, c’est tout mort.» Elles racontent qu’«ici, il y a des enfants et des jeunes dans toutes les chambres». Que «tout le monde se connaît», que l’ambiance est «super sympa».

Des poussettes sont garées devant les portes. Kassian, 15 ans, déboule. Il tient à souligner qu’il est «l’un des plus anciens» ici. Cinq ans qu’il vit dans cette chambre avec sa mère et sa sœur. Il montre un grand lit, un deuxième, suspendu en travers. Un lavabo, pas de placard, les habits sont entassés dans des valises. Dans la chambre voisine, une mère avec son bébé dans les bras a branché un stérilisateur à la prise du sèche-cheveux.

D’autres hôteliers n’acceptent que des courts séjours, préférant réserver leurs chambres à leur clientèle «classique» en cas de forte demande. «L’offre hôtelière varie en fonction des périodes de l’année, voire de la semaine, explique Christine Laconde. Les soirs de match, par exemple, les hôtels aux abords du Stade de France sont pleins.» Chaque événement organisé dans la capitale réduit la capacité d’accueil du 115. Des familles avec des enfants se retrouvent alors à la rue. «Nous appréhendons beaucoup la Cop 21 qui se tient à Paris en décembre. On va perdre des centaines de chambres», s’inquiète Philippe Martel. La semaine dernière, rien qu’à Paris, 195 enfants ont dormi dehors.

Marie Piquemal - Libération le 12 octobre 2015.

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