Retour sur l'expulsion de 200 migrants à Pacé (35)
Bien que l’opération ait été réalisée en concertation avec
certains ministères, le préfet et certains élus ont manifestement été très
fiers d’avoir expulsé plus de 200 migrants du squat de Pacé le 27 novembre
2012. Une réussite prétendument exemplaire, à mettre au crédit de la préfecture
d’Ille et Vilaine.
Les militants de terrain le concèdent. L’expulsion a été
finement cadrée. Du prêt à consommer. Rien à dire sur le moment présent. Les
expulsés du jour se sont vus promettre un lit
pour le soir et il semblait qu’enfin, concernant ceux-là précisément, le
droit et les obligations de l’Etat seraient définitivement respectés. Soit un
hébergement pérenne pour tous et cela sans condition.
Une avancée considérable au regard des dernières et récentes
expulsions où uniquement quelques familles se voyaient attribuer pour quelques
jours une solution d’hébergement tandis
que leurs biens et leur refuge
étaient systématiquement détruits.
La gendarmerie a subrepticement encerclé la Résidence du Parc
vers 4h00 du matin pour isoler les migrants de leurs soutiens. Deux heures plus
tard, à l’heure habituelle pour toute expulsion, plus d’une centaine de
sympathisants se trouvait retenue au-delà du cordon de sécurité tandis
qu’arrivait le complément du dispositif policier.
Les plans de communication et d’action avaient été
préalablement peaufinés. La veille ou dans la nuit de l’expulsion les services
préfectoraux alertaient la presse en annonçant une conférence du préfet pour le
lendemain et diffusaient en sous-main une liste de plus de 200 hébergements
disponibles.
Cette débauche de communication soulignant la pondération et
l’humanité de la mise en œuvre d’une décision de justice n’a suscité pour les
migrants comme pour les militants qu’un intérêt de courte durée. Dès 6h30 du
matin, à l’extérieur du théâtre des opérations l’envers du décor reflétait le
désastre à venir et l’incroyable disproportion entre les paroles et les actes.
Les 200 places disponibles s’avéraient pour l’essentiel le
résultat d’une improvisation de dernière minute, d’une absence totale de prise
en compte des personnes en tant que telles, du quotidien et des besoins d’une
population fragilisée et désargentée. 200 places réparties dans une quinzaine
de communes, pour la plupart situées hors de Rennes-Métropole. Un montage de
bric et de broc constitué de locations à brève échéance de gîtes ruraux, de
quelques appartements mis à disposition par des communes, de chambres d’hôtel
et de lits d’urgence pour les sans-abris.
Certes la préfecture semblait s’acquitter de ses obligations
légales qu’elle refusait obstinément de mettre en œuvre depuis plus de 7 mois. Néanmoins ses
pratiques demeuraient identiques. Laisser les migrants dans la plus grande
précarité.
La presse obtenait la liste des logements attribués des
personnes expulsées mais les migrants devaient impérativement patienter
plusieurs heures pour connaître leur destination. Après l’expulsion la seule indication
dont ils
disposaient se résumait à un rendez-vous
en préfecture en milieu de matinée, d’un plan pour s’y rendre et d’un
ticket de bus. En attendant ils retournaient à la rue avec ce qu’ils pouvaient
traîner comme bagages…
Quelques heures dans la nuit et le froid, enfants et bagages
dans les bras ou à la traîne à attendre les premiers bus et l’ouverture de la
préfecture. Pourquoi ne pas avoir affrété un car pour transporter les expulsés à leur rendez-vous imposé ? Par
comparaison une noria de véhicules bleus et bleus et blancs gravitait en toute inutilité autour d’un lieu
pour le vider de ses habitants
Une organisation sans complexe. Le préfet décrète la
fermeture de la préfecture au public au pied levé. La grille est partiellement baissée, des
barrages policiers installés, seuls les migrants de Pacé peuvent pénétrer après
avoir justifié de leur présence sur les lieux de l’expulsion le matin. Les
usagers devront revenir une autre fois. On communique sur le fait qu’une
collation est gracieusement distribuée.
Parole unique, aucun journaliste ou militant ne peut accompagner ou
rendre compte de ce qui se passe. Les expulsés rentrent un à un dans le
bâtiment mais personne ne semble en sortir. La préfecture a aménagé ses
arrières et prévu une sortie plus discrète derrière laquelle attend une
multitude de taxis. Les sympathisants se postent au point de sortie, tentent de
connaitre les destinations et la durée de séjour en bloquant une minute ou deux
les taxis qui sortent. Mais la préfecture veille au grain et très rapidement
les taxis ne s’arrêtent plus…
Les premières informations obtenues confirment la précarité
des offres d’hébergements. 3 à 8 jours maximum. Certains ne savent même pas ou
ils seront le lendemain. À une case correspond un nom, comme pour le bétail. La
plupart des familles partent vers des lieux isolés. Les transports sont rares et hors de prix pour un
migrant sans le sou. Sans compter que les arrêts se situent souvent à plusieurs
kilomètres de leur point de chute. Elles n’ont pour rechange que les vêtements
qu’elles portent, aucune réserve alimentaire et pas d’autre choix que de se
soumettre à l’ordre préfectoral et de rester à ressasser leur inquiétude dans
le plus grand des désœuvrements.
Rapidement les associations et collectifs réceptionnent les
appels de détresse et recoupent les informations. Il faut parer au plus pressé.
Plusieurs familles demeurent sans alimentation, n’ont strictement aucun moyen
pour se déplacer et attendent durant
plusieurs jours une première visite des travailleurs sociaux. Certaines
demeurent dans des appartements sans le moindre mobilier. L’accompagnement
social promis vacille. Les enfants sont déscolarisés, de nombreux rendez-vous
médicaux et administratifs sont annulés.
La solidarité s’organise. Les associations locales si souvent
décriées colmatent les brèches du système. Les militants couvrent les routes du
département pour équiper les logements vides, distribuer du matériel,
de l’aide alimentaire et l’essentiel. Du temps pour expliquer, pour
calmer les esprits et les cœurs déchirés par la souffrance. L’organisation
préfectorale dysfonctionne à plein régime. Pendant plusieurs semaines les
familles ne cessent d’être déplacées dans Rennes-Métropole et ailleurs. Une
succession sans fin de solutions hasardeuses, coûteuses et souvent
inappropriées. 3 jours dans le dispositif du 115, 1 ou 2 à l’hôtel, 5 dans un
gîte et on recommence…. La valse des taxis continue et les marchands de sommeil
se réjouissent. La préfecture dépense à perte sans compter, Elle n’investit
surtout pas dans de nouvelles structures d’accueil. Elle achète à prix d’or du
temps et le silence.
Difficile de faire un bilan. Pour l’essentiel jusqu’ici la préfecture a tenu parole. Les expulsés de
la Résidence de Parc de Pacé semblent
être devenus prioritaires concernant l’attribution des places en Cada et
pré-Cada ou dans le dispositif du 115.Ceux-là se sont rarement retrouvés à la
rue depuis un mois, bien que le phénomène tende à s’amplifier concernant les
célibataires.
La rotation de la misère persiste à Rennes et tandis que l’on
s’occupe de ceux-là, d’autres familles sont expulsées ou/et maintenues contre
leur gré à la rue. Les organisations nationales de solidarité reconnues et
partenaires habituelles de la préfecture, qui prétendent par ailleurs justifier
d’un savoir-faire sans faille dans l’accompagnement social, la sécurité et hygiène, restent
définitivement silencieuses et aveugles quant aux pratiques préfectorales à
l’instar des élus politiques locaux qui évitent le sujet ou ne s’expriment que
pour justifier d’une manière ou d’une autre les expulsions.
Une certitude. La réquisition de la Résidence du Parc a
redonné de l’espoir et du dynamisme aux militants et aux migrants. De nouvelles
associations ou collectifs sont apparus pour s’associer à cette démarche
commune. Chacun apportant sa pierre à l’édifice selon ses propres objectifs.
L’unité, la diversité et la cohésion des actions et des acteurs aura été
prépondérante dans ce combat et ceux à venir.
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