Rennes, dimanche 6
janvier.
Expulsion d'une
réquisition.
Dehors, il ne fait pas
vraiment froid. Juste un petit crachin breton qui pleure depuis des
jours sur des nuits d'errance. Le froid qui les fait frissonner est à
l'intérieur, là où s'emmagasine la fatigue des journées à
marcher sans but dans la ville, en attendant la réouverture des
portes du foyer. Le froid il est dans la mémoire des corps
recroquevillés dans les halls de gare, d'hôpital, dans les stations
de métro, les encoignures de portes. La glace, elle se niche dans
les devantures de Noël inaccessibles aux enfants, dans le sourire
des passants ingénus et inconscients.
File indienne, ombres
dans la nuit. Silence ouaté de crainte. Est-ce que ça va marcher ?
Une porte, un couloir,
des couloirs, encore des couloirs, des pièces, des escaliers,
partout. « T'es où ? C'est par où qu'on est arrivés ?
J'suis perdu ! ». Petit à petit, des rires fusent. C'est
incroyable comme c'est immense. En plus, il y a de l'eau ! Et de
l'électricité aussi ! Curieux : il fait pas froid, c'est
peut-être chauffé ? « T'as pris quelle chambre toi ? ».
« Le bureau du directeur ! Il y a même une porte
capitonnée ! ».
Tout est propre,
impeccable. Ça fait plus d'un an que c'est fermé. Bâtiment public,
ancienne direction des services vétérinaires, DDASS, agence
régionale de la santé ... Partis où ? Services supprimés ou
éclatés, ici ou là, dans d'autres lieux, parfois loués à prix
d'or par l'État dans le parc immobilier privé (privatiser les
bénéfices, nationaliser les déficit).
Ici, la ventilation ne
s'est jamais arrêtée et il reste 200 litres de fuel dans la cuve.
Dehors des dizaines de personnes à la rue en plein hiver, parfois
des bébés. Pas grave : « comme le changement c'est
maintenant, on réfléchit ».
Enfin, pas que. « On »
agit, aussi.
Pendant qu'au 7° ciel de
la réquisition les sourires illuminent tous les visages, pendant
qu'on s'embrasse pour fêter ça, pendant que les militants sortent
les couvertures et les galettes des rois (« avec un doigt de
café, s'il te plaît »), dehors les robots-cops s'activent,
bergers allemands à l'appui (faut bien ça pour chasser les
enfants).
Pas de ronds de jambes
inutiles. L'opération communication de la préfecture est terminée, on va
droit au but, avec les moyens adéquats. « Vous sortez
immédiatement ». Pas le temps de prendre ses affaires.
Matraque au collet. Les chiens sur les talons. Bousculades pour les
plus lents et pour les militants qui essaient de prendre des photos.
En 10 minutes s'est bouclé. « Toute façon, on les connaît
bien leurs tronches ». « Leurs figures, Monsieur, leurs
figures ».
On essaie de se recompter
dehors, dans le noir. Il en manque deux. Deux militants.
Brusquement, on les voit
apparaître, cernés par un groupe de ninjas. Des fois qu'ils soient
super forts et super dangereux, deux précautions valant mieux
qu'une, ils ont été menottés les mains dans le dos.
« C'est quoi cette
démocratie ?! » lance un migrant.
C'est quoi ces gens, élus
par le peuple sur des valeurs de justice sociale, de solidarité,
d'humanité et qui commanditent ça ? Que faudra-t-il pour qu'il
sortent de leurs dorures et de leurs compromissions ? La mort de
froid d'un enfant dans la rue ?
Messieurs et Mesdames les
gouvernants, en plus d'être des traîtres, vous êtes des
hors-la-loi car la loi oblige l'État à la protection des personnes.
Et dans mes livres de petite fille, on m'a appris que les hors-la-loi
finissaient toujours par être punis.
J. militante Un Toit c'est Un Droit, texte écrit ce matin vers 5h.
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