mardi 21 mai 2013

"Étranges étrangers"




 

Jeudi 16 mai,  Dazibao se tenait au parc des Gayeulles, avec comme thème central la lutte contre les discriminations (dont l'homophobie). Concert d'artistes engagés, exposition du photographe Jeoffrey Guillemard sur l'errance des migrants sans domicile au cours de l'hiver à Rennes.
Le groupe Unité Maü Maü avait invité l'association "Un toit c'est un droit" pour une prise de parole sur scène. Nous avions convenu de rester dans le registre artistique : les enfants des squats sont montés sur scène pour dire le texte de "Prévert "Étranges étrangers", adapté à la vie locale. (voir vidéo et texte) Occasion aussi pour les enfants de découvrir un autre versant de la langue de Molière et un petit bout de l'histoire de France : le colonialisme, l'engagement des étrangers dans la Résistance ...
Un grand merci à Unité Maü Maü et au CRIJ pour leur avoir donné la parole et pour ce moment de pur bonheur pour les enfants et leurs familles. Pour beaucoup, c'était le premier moment de détente depuis leur arrivée en France, après ce terrible hiver glacial, question météo et moral : trois nuits en foyers, trois nuits à la rue, une semaine d'hôtel et puis plus rien.
Si "Un toit c'est un droit" a réussi à limiter le nombre de nuits passées réellement à la rue, c'est uniquement grâce à la mobilisation citoyenne des Rennais qui se sont serrés dans leurs appartements ou leurs maisons pour leur offrir un coin de chaleur. Cela n'a toutefois pas évité, à certains, quelques longues nuits aux urgences de l'hôpital ou à la gare, voire dans les parkings souterrains. Mais cela n'a guère ému les "autorités" pour qui, visiblement, certains enfants sont moins égaux que d'autres. Passé le 19 mars, vu le nombre de personnes à la rue et l'absence totale de proposition de relogement, "Un toit c'est un droit" n'avait d'autre solution que d'ouvrir de nouveaux squats, action tant critiquée parce que "illégale".
Nous, nous affirmons que c'est légitime : légitime de mettre des êtres humains à l'abri, légitime d'utiliser des bâtiments vacants, légitime ... de faire preuve d'humanité ! Légitime de montrer à ces enfants "des pays loin" qu'il existe en France autre chose que le racisme, autre chose que l'indifférence. Légitime de revendiquer l'héritage concret des Droits de l'Homme. Légitime de leur dire que la France doit sa liberté, aussi, à l'engagement d'étrangers, à nos côtés, dans la lutte contre le nazisme.
Le groupe Unité Maü Maü a offert un exemplaire de leur CD à chaque enfant. Depuis, il tourne en boucle dans tous les squats rennais : n'est-ce pas la meilleure méthode Assimil ?



Étranges étrangers
Jacques Prévert

Kabyles de Cleunay et des quais de la Vilaine
hommes des pays loin
cobayes des colonies
Doux petits musiciens
soleils adolescents du centre Italie
Boumians du canal Saint Martin
Apatrides du Colombier
brûleurs des grandes ordures de la ville de Rennes
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens du Blosne
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Caucasiens de Villejean de l'église Saint Marc
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou bien du Finisterre
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres

Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d'une petite mer
où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale que pour fêter au pas cadencé
la prise de la bastille le quatorze juillet

Enfants du 115
dépatriés expatriés et naturalisés

Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d'or faits de papier plié

Enfants trop vite grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd'hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières
On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos

Étranges étrangers

Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez.

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