jeudi 24 janvier 2013

Non, Monsieur le Préfet, l’hébergement d’urgence ne fonctionne pas bien en Ille-et-Vilaine


Par Joëlle Couillandre

Aujourd’hui, 21 janvier, 20 h, il fait zéro degré dans mon jardin mais, c’est vrai, il ne neige plus et les routes, pour l’instant, ne sont plus verglacées dans mon petit coin de campagne bretonne. Tout le monde souffle, en craignant toutefois un peu le réveil de demain matin.
Tout le monde souffle, sauf les sans abris. Parce que, pour eux, Monsieur le Préfet d’Ille-et-Vilaine semble avoir décidé qu’il faisait désormais bon dehors. Alors, de manière tout à fait logique, ceux qui avaient pu être hébergés, ces 2 derniers jours, se retrouvent aujourd’hui à la rue. À la télé, la présentatrice météo caresse doucement son écran en expliquant que le front froid avance et qu’il faut craindre des pluies verglaçantes, mais ça ne concerne que les automobilistes, pas Monsieur le Préfet … donc, pas les sans abris !
Monsieur le Préfet d’Ille-et-Vilaine nous avait expliqué, dans le journal Ouest- France du 7 janvier, que l’hébergement d’urgence fonctionnait bien à Rennes.
C’est vrai, l’hébergement a bien fonctionné 2 jours. Deux jours de neige.
Aujourd’hui, de nouveau, deux appels de personnes restées sans hébergement : une famille avec deux enfants de 10 et 12 ans et un jeune homme. On leur a dit de rappeler le 115 à 16 h alors, depuis 16 h, plusieurs personnes se sont relayées sans discontinuer pour appeler, toutes les 5 minutes. 115 injoignable.
« L’hébergement fonctionne bien ». Monsieur le Préfet confond décidément les temps de conjugaison.
Je m’étonne que de tels propos, relayés par la presse, aient pu être tenus par un représentant de l’État dont on serait en droit d’attendre une plus grande probité. Les services officiels affichaient eux-mêmes, par exemple, un taux de 49 % de réponses positives pour l’hébergement d’urgence en janvier 2012 et de 17 % en octobre dernier. Monsieur le Préfet ment donc en toute conscience.
Certes, on peut considérer que le mois d’octobre est rarement, en Bretagne, une période de grand froid mais comment peut-on oser se satisfaire d’une situation où une majorité de personnes demandeuses d’abri (dont des enfants) se trouve obligée de dormir à la rue, quelle que soit la saison ?!
Les données officielles relatives à l’hébergement d’urgence depuis octobre ne sont pas encore connues en détail pour l’Ille-et-Vilaine mais je peux attester des situations que j’ai rencontrées durant cette période. Grâce au réseau de solidarité mis en place par l’association « Un toit c’est un droit », toutes les personnes suivantes ont été hébergées en urgence par ma propre famille ou par des amis, faute de quoi elles auraient passé la nuit à la rue :
- jeudi 29/11 : 2 familles demandeuses d’asile (3 bébés, dont un de 3 mois) trouvées à la station de métro du Blosne à 21 h (température 3°).
- du 7 au 9/12 : 2 familles (dont 2 enfants), trouvées affamées et transies au Secours Catholique.
- 10 et 11/12 : 2 familles (5 enfants, dont un bébé de 18 mois très gravement malade). Température – 3°.
- 26 et 27/12 : 2 familles (4 enfants entre 2 et 12 ans et une femme enceinte).
- du 1° au 9/12 : une famille (2 enfants de 2 et 7 ans).
- du 31/12 au 5/01 : une famille (2 enfants de 10 et 12 ans).
- 12 et 13/01 : même famille
- 12 et 13/01 : 2 nuits payées dans un hôtel pour une famille de 6 personnes (dont un enfant de 2 ans et une fillette de 8 ans) + un jeune célibataire
- et, donc, le 21/01 : une famille avec deux enfants et un jeune-homme
Il ne s’agit là que d’une expérience personnelle. Dans le même temps, d’autres ont vraisemblablement connu des choses similaires et il est fort probable que des personnes en difficulté soient restées totalement isolées.
Par ailleurs, ancienne institutrice, j’ai gardé de nombreux contacts avec mes collègues qui me permettent de mesurer les conséquences dramatiques, pour les enfants, des hébergements aléatoires et mouvants : un jour à Rennes dans un foyer, le lendemain dans un autre, ensuite 2 nuits à la rue, puis Fougères, puis rien, puis … Des réponses parfois données à 20 h ou plus, à des familles frigorifiées et épuisées attendant devant une station de métro. Enfants déscolarisés ou scolarisés en pointillés (on sait, par ailleurs que la fréquentation régulière de l’école est une des conditions à la régularisation). Enfants mal-nourris et affaiblis (impossibilité de cuisiner puisque la plupart des foyers et hôtels sont inaccessibles en journée). Quant aux adultes célibataires, ils sont rarement hébergés.
Au problème que pose le manque de places d’hébergement d’urgence pour la nuit, il faut ajouter celui de l’absence d’accueil de jour. Les chanceux qui ont le « privilège » de dormir à l’abri se retrouvent à la rue entre 8 h et 18 h et ce quelle que soit leur situation. Ainsi M X, dialysé 3 fois par semaine. Ainsi Mme Y, enceinte de 6 mois et demi, pour qui le corps médical craignait un accouchement prématuré et qui a dû attendre une semaine pour obtenir un accueil de jour en hôtel.
Des membres du corps médical ont fait connaître leur inquiétude, notamment pour ce qui concerne la santé des jeunes enfants, des femmes enceintes et d’adultes très malades. Idem du côté des travailleurs sociaux, désemparés face au manque de moyens pour remplir leurs missions.
Après l’expulsion du squat de Pacé (qui accueillait 250 personnes jusqu’en novembre dernier) des sommes énormes ont été gaspillées chaque jour en location d’hôtels ou de gîtes pour abriter quelques personnes, laissant bon nombre à la rue, alors que des bâtiments publics ou privés restaient inoccupés. Une loi existe pourtant pour les réquisitionner en cas de besoin. Outre le côté moral de la chose, cela permettrait de faire des économies substantielles mais cette loi n’est pas appliquée.
On nous explique qu’il est fondamental de construire, à coups de milliards, un nouvel aéroport dans notre région. C’est sûr, il n’y a aucun autre besoin vital préalable à satisfaire ...
Il ne s’agit même pas de débattre sur le « problème » de l’immigration (notons toutefois que bon nombre de ces personnes sont en situation tout à fait régulière) : ce dont il est question, aujourd’hui, c’est du respect des droits humains fondamentaux auxquels la France a souscrit par la signature de nombreuses conventions internationales et qui sont inscrits dans les principes constitutionnels de notre République. L’État n’assume plus ses obligations : protection des personnes et obligation de scolarisation.
Tout cela, Monsieur le Préfet ne peut l’ignorer : oser se satisfaire de cette situation relève d’un cynisme sans nom.
Pour terminer cette lettre de révolte, je dirai que, si la politique gouvernementale n’est pas radicalement changée, le pire me semble être devant nous. Aujourd’hui, une majorité de migrants à la rue mais demain, avec les fermetures d’entreprises en séries ? Aujourd’hui eux, demain nous ? On peut devenir très vite le plus pauvre de quelqu’un. Accepter une situation inadmissible pour autrui, c’est aussi l’accepter potentiellement pour soi et pour ses propres enfants. Quelle situation sociale et quelles valeurs morales allons-nous léguer aux générations futures si nous ne protestons pas aujourd’hui ? Liberté, égalité … fraternité ?!
Par ses actions et par ses déclarations, monsieur le Préfet d’Ille-et-Vilaine, représentant de l’État, contribue à bafouer les valeurs fondamentales de notre République.
Un minimum de conscience citoyenne exige d’y répondre.
Quant à mesdames et messieurs les Gouvernants, Ministres, Président et autres, je m’interroge : comment faites-vous pour dormir la nuit et vous regarder dans la glace le matin ?
Joëlle Couillandre, Amanlis, le 21/01/2013

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